30 décembre 2024
Alerte ! On signale la disparition des frontières entre votre vie privée et votre vie professionnelle. Mais connaissez-vous la définition du blurring et êtes-vous : victime, complice, ou coupable ?
C’était il y a plus de 100 ans !
Le 23 avril 1919, le Sénat français votait la loi instaurant la journée de travail de 8 heures (et déclarait le 1er mai jour férié).
Un siècle plus tard, cette loi étonnamment moderne pour l’époque, n’a pas vraiment vieilli : à l’exception du principe de la durée du travail (alors de 48 heures par semaine et réduite depuis à 40, puis 39, puis 35 heures), elle renvoyait, pour son application, à des règlements à prendre au niveau des branches professionnelles et régionales, notamment pour le choix de l’amplitude et de la répartition des heures sur la semaine ou sur le mois.
Aujourd’hui, cette géométrie variable est plus que jamais d’actualité car on constate fréquemment que la frontière entre les horaires de travail et de temps libre s’estompe.
De plus en plus de salariés (en particulier les cadres et managers) consultent sans cesse leurs messages professionnels et y répondent, emmènent des dossiers pour y travailler de n’importe où (domicile, transports en commun, à la plage, d’une terrasse,…) et surtout, souvent en dehors des horaires convenus (le soir, le week-end, pendant les vacances,…)
Ce phénomène a été baptisé « blurring », en référence au terme anglais « to blur » qui signifie brouiller, effacer, flouter et habituellement utilisé pour désigner une technique de maquillage.
On peut d’ailleurs y voir au moins deux points communs :
1. le blurring s’avère défini parfois comme un véritable « cache-misère », qui masque chez leur pratiquant, des imperfections ou dysfonctionnements aux graves conséquences,
2. mais, tout comme en matière de make-up, ce floutage des frontières « vie pro-vie perso » peut aussi définir un véritable outil choisi par la victime (presque) consentante du blurring, pour « s’optimiser ».
Car non, le bourreau à l’origine de cet empiètement sur la vie privée, n’est pas toujours celui que l’on pense !
Alors finalement, qui est vraiment responsable de cette intrusion de la sphère professionnelle dans la bulle familiale ?
Peut-on vraiment parler d’intrusion, ou de rééquilibrage ?
Et vous, où en êtes-vous avec votre définition du blurring ?
Selon le cas, il est important d’identifier ce qui vous anime et apprendre à rester maître de la situation, car mal contrôlée, cette (con)fusion peut vous conduire à des conséquences désastreuses.
L’effacement des limites entre sphères professionnelle et personnelle se matérialise essentiellement de deux façons :
> Le présentéisme :
Le présentéisme est la formule « heures sup’ 2.0 », la version historique de l’empiètement du travail sur la vie privée, qui consiste simplement pour l’employé à être présent et disponible sur son lieu de travail en dehors de horaires officiels convenus avec l’employeur. Cette pratique peut survenir plus ou moins ponctuellement, en réponse à un surcroît de travail, mais aussi plus régulièrement, par crainte d’être mal vu de la direction et/ou des collègues en cas de respect strict des horaires. Cet excès de zèle, mérite d’ailleurs un prochain article à lui tout seul.
> L’hyper-connexion :
On ne peut pas nier que le phénomène du blurring s’est accru avec la plus grande disponibilité jusque dans nos foyers, des outils numériques, qu’ils soient personnels ou mis à notre disposition par l’entreprise (tablettes, ordinateurs portables, smartphones…)
L’avènement de l’ère numérique a supprimé l’excuse de l’éloignement géographique entre le lieu de travail et le domicile de nombreux employés (essentiellement les cadres et managers), les rendant ainsi disponibles et joignables à merci, par des SMS, mail, messages instantanés, appels téléphoniques, en tous lieux, 7 jours sur 7 et à toute heure, sans plus aucun respect des plages de temps libre traditionnellement et contractuellement réservées à la vie privée et familiale.
C’est ce qui résulte d’une étude réalisée par Opinion Way pour Eléas, à la suite d’un sondage réalisé entre le 16 et le 23 octobre 2018 sur 1010 salariés travaillant dans un bureau pour une entreprise privée ou publique :A la question : « Vous arrive-t-il d’utiliser vos outils professionnels numériques pour travailler…», les employés (essentiellement cadres et managers) ont répondu OUI :
– Le soir 47 %
– Le week-end 45 %
– Pendant vos vacances 35 %
Il faut bien l’avouer, l’euphorie des débuts où l’on pouvait s’affranchir des quatre murs de notre bureau ou de l’open-space pour travailler de n’importe où, est légèrement retombée. Pour de nombreux détenteurs de ces outils, cette nouvelle liberté (finalement surtout géographique) s’apparente plus à la marge de manœuvre qui serait accordée à un prisonnier affublé d’un bracelet électronique : hors des murs de sa prison, mais jamais vraiment parti…
Si cette tendance inquiète de plus en plus, c’est qu’il a été constaté que l’absence de délimitation entre la vie privée et le travail pouvait avoir des répercussions sur la santé physique et mentale de l’employé.
Le sentiment de ne jamais décrocher du travail et la surcharge informationnelle, peuvent générer : fatigue psychique – stress – sentiment de culpabilité pendant les heures de repos – perturbation du sommeil – prise de médicaments pour lutter contre l’anxiété et les problèmes d’insomnie…
Toutes ces dégradations du bien-être pouvant mener jusqu’au burn-out.
Les conséquences se font par ailleurs ressentir au niveau de la baisse de la qualité du travail et des performances.
On ne dénonce pas uniquement le désagrément provenant de l’utilisation des outils numériques professionnels, en dehors des lieux et temps de travail, mais aussi leur potentiel anxiogène : en effet, comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, la tension induite par ces outils reste à l’esprit des salariés même lorsqu’ils ne s’en servent pas.
C’est ce qui résulte de l’étude sus-visée réalisée par Opinion Way pour Eléas :
A la question « Quand vous êtes sollicités via vos outils numériques professionnels hors de votre temps de travail, culpabilisez-vous de ne pas vous connecter pour travailler… ? », les salariés concernés (excluant ceux ayant répondu « Non, je n’ai pas professionnellement besoin de me connecter ») ont répondu par l’affirmative dans ces proportions :
– Le soir : 40 %
– Le week-end : 37 %
– Pendant les vacances : 37 %
Il est certain que le progrès électronique et numérique a favorisé ce nouveau mode de travail, mais d’autres facteurs ont leur part de responsabilité.
VOYAGE SANS FRONTIÈRES ENTRE VOS MONDES : FACTEURS EXTERNES.
LE FACTEUR MATÉRIEL
Bien sûr, le premier réflexe, face à la tendance au blurring est d’incriminer les « nouveaux » outils de technologie numérique, puisqu’après tout, ce sont eux qui rendent cette hyper-connexion au travail matériellement possible.
Mais entre nous, ces outils ne sont pourtant plus si « nouveaux » que ça, et après cette période excusable de la découverte, il est peut-être temps pour nous de nous y adapter et de les intégrer de façon plus équilibrée dans nos vies…
LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE
L’hyper-sollicitation des employés est parfois entretenue, même indirectement, par le comportement d’une clientèle plus exigeante et plus pressée qu’autrefois, qui ne veut plus) attendre.
La réactivité et la disponibilité deviennent un critère parfois déterminant pour se démarquer de la concurrence, au même titre que la quantité, la qualité ou le prix.
Il arrive alors que cette exigence se trouve répercutée :
soit directement par une demande expresse de la hiérarchie (par mail, sms, appel tardif,…)
soit qu’elle résulte de culture de l’entreprise, imposant ainsi une pression si forte sur les employés :
que ceux-ci ne s’autorisent plus de coupure nette entre leur activité professionnelle et leur temps de repos,
et même qu’ils y participent en communiquant sur leur activité en dehors des horaires de travail, dans le but principal de faire la démonstration aux autres de leur grande implication dans l’entreprise… Vous le reconnaissez, ce collègue qui arrive en retard tous les matins, mais qui se vante d’avoir travaillé sur un dossier très tard, soit en le criant haut et fort, soit en laissant des traces par l’envoi d’emails tardifs ?
La disparition progressive des frontières entre les sphères professionnelle et personnelle ne répond pas toujours à une demande du client et/ou de l’employeur : elle est parfois utilisée pour apporter plus de fluidité dans un planning.
Ainsi, d’après l’Etude sus-visée, réalisée par Opinion Way pour Eléas, à la question : « Vos outils numériques professionnels vous donnent-ils plus de flexibilité dans vos horaires de travail (télétravail, mobilité à l’intérieur de l’entreprise…)», les salariés concernés ont répondu :
Oui, et je l’apprécie 45 %
Oui, et cela me dérange 14 %
Non, et je le souhaiterais 27 %
Non, et tant mieux 14 %
Tout ne vient pas d’une demande expresse de la hiérarchie (même si elle peut y contribuer par une forte pression et en donne les moyens matériels.)
Paradoxalement, il arrive que cet effacement des lignes entre la vie professionnelle et la vie personnelle d’un salarié résulte justement de sa tentative de les concilier.
C’est une façon indirecte et officieuse pour lui, de réorganiser son temps de travail pour y introduire un certain confort : l’employé entrecoupe ainsi sa journée « officielle » de grosses pauses et de temps morts dont il sait qu’ils ne seront pas productifs, mais il les rattrape plus tard sur son temps libre, invoquant une sorte de contrat moral tacite avec son employeur, même si celui-ci n’en a en réalité jamais connaissance !
Cela peut sembler très choquant par rapport à la conception syndicale d’une journée de travail enfermée traditionnellement dans des horaires stricts, le classique 9 h-17 h.
Pourtant, d’un point de vue physiologique, cette répartition des temps de travail effectif est finalement plus compatible avec notre capacité de concentration et nos pics d’énergie, qui sont très cycliques sur une journée.
Par ailleurs, des études montrent qu’au cours de la journée de travail, de nombreux employés s’allouent des plages de liberté qu’ils considèrent comme un dédommagement tacite : outre les pauses classiques ente collègues, un clic de souris a vite fait de les faire s’évader sur les réseaux sociaux, le site de réservation des vacances, du shopping en ligne,
Et ce genre de téléportation, on sait quand ça commence, mais sa durée est souvent plus longue qu’on ne veut bien l’avouer…
Il faut bien le reconnaître, les sphères pro-perso ne sont pas des bulles hermétiquement fermées et cloisonnées. Leur porosité est indéniable, et cela dans les deux sens.
Cette fluctuation des frontières a toujours été plus ou moins présente :
– qu’il s’agisse d’entretenir des relations mi-amicales, mi-professionnelles sur un green ou lors d’un déjeuner dit « d’affaires »,
– ou tout simplement de régler certaines préoccupations administratives et appels téléphoniques d’ordre personnel sur le temps de travail (ne serait-ce que par la nécessité de tomber sur les heures d’ouverture de certains services).
Si la définition du blurring est aussi importante, c’est que l’avènement de l’ère digitale n’a fait qu’accentuer ce flou et cela se confirme dans le développement de nouveaux modes de travail plus externalisés.
Le travailleur (salarié ou indépendant), cherche ainsi de plus en plus souvent à trouver l’équilibre entre sa carrière et sa vie familiale par le biais de diverses formules :
– le télétravail, à temps complet ou à temps partiel,
– l’emploi par les entreprises, de travailleurs nomades,
– le développement de la génération de free-lances, ces travailleurs indépendants souvent issus d’une reconversion professionnelle, en quête de plus de liberté et de flexibilité.
En outre, ce besoin de modularité dans les horaires est encore plus criant aujourd’hui, avec des facteurs de complexification de la vie des collaborateurs, tels que :
– la configuration du foyer, parfois à parent unique, ou recomposé,
– l’éloignement géographique plus important entre le domicile et le lieu de travail,
– etc…
Par ailleurs, même quand rien n’y oblige, checker ses messages professionnels peut s’apparenter aussi à un TOC (trouble obsessionnel compulsif) qui pousse à consulter encore et encore les dernières actualités d’entreprise, les messages, etc…
On a nommé cette phobie « FOMO » (Fear Of Missing Out : la peur de manquer quelques chose).
Si vous y êtes sujet, posez-vous cette question : quand vous cliquez ainsi régulièrement sur vos accès aux messages et actualités :
> répondez-vous vraiment à une demande de votre employeur ?
> ou est-ce devenu un réflexe ? Vous, savez, celui de votre doigt qui vous emmène malgré vous sur les réseaux sociaux… 😉
On constate que l’employé qui s’impose cette disponibilité permanente, appartient fréquemment à une certaine typologie de personnes.
Le blurring est ainsi plus souvent pratiqué par les travailleurs qui ont des difficultés à dire non :
par orgueil, afin de paraître maître de la situation, en hyper-contrôle,
soit par crainte de représailles (perte d’emploi, dévalorisation par rapport aux collègues, mise au placard, ou simplement remarques désagréables,..), ce qui peut révèler un certain manque de confiance en soi.
Cette extension du temps de travail sur la vie personnelle peut aussi être la conséquence d’une organisation différente (par choix ou non), selon notre rapport au temps, mais qui est dans tous les, cas propre à chacun d’entre nous (selon notre rapidité dans l’exécution des taches, nos priorités, notre niveau de perfectionnisme, etc…).
La définition du blurring est désormais plus claire ? Alors comment savoir où vous en êtes (et si c’est grave…) ?
Si vous avez le sentiment que tout va bien, que votre job tient exactement la bonne place dans votre vie, alors félicitations, c’est que vous avez trouvé un certain équilibre !
Du moins pour vous, car ce n’est pas toujours l’avis de votre entourage…
Attention ! S’auto-analyser est très complexe, d’aucuns diraient même impossible !
Surtout si cette circonstance extérieure vient perturber votre analyse : l’endoctrinement.
Oh là ! Comment ça l’endoctrinement ? Bien sûr que non, ça n’en est pas, puisque ça n’arrive qu’aux autres…
Oui, c’est aussi ce que prétendent les membres des sectes, ou les victimes du fameux Syndrome de Stockholm : ils n’ont pas du tout été influencés…
Bizarrement, ils présentent tous ce point commun : pour rendre leur situation plus tolérable, leur esprit a rapidement déplacé leurs repères de ce qui était moralement acceptable, dans une démarche qui relève de l’instinct de survie, au point de trouver des excuses, voire des qualités à leurs geôliers, et de justifier leurs actes. Ils parviennent d’ailleurs à éprouver à leur égard autant de sympathie que de crainte.
– “Voilà une analogie très exagérée !” rétorquerez-vous…
– Vraiment ?
Alors tentons ce petit exercice de comparaison de définition entre le blurring avec le syndrome de Stockholm :
Le dictionnaire Larousse définit ce dernier comme « un lien d’empathie s’installant entre la victime d’une séquestration et son ravisseur ». Ce syndrome peut se manifester dans une grande variété de méfaits, notamment chantages, séquestration,…
Mise en situation :
Imaginons que pendant vos vacances, votre supérieur hiérarchique, vous contacte pour vous demander de rédiger un rapport « urgent », parce que … et bien parce que c’est urgent, que les autres sont déjà surchargés, qu’ils ne sont pas aussi qualifiés que vous pour cette tâche (et oui, la flatterie est une arme efficace…).
Quelle serait votre réaction ?
A – Vous travaillez plusieurs jours sur ce rapport, car vous êtes doté(e) d’une immense conscience professionnelle, et d’ailleurs tout le monde devrait en faire autant !
B – Vous vous exécutez en trainant des pieds, et passez une partie de vos vacances, séquestré derrière votre ordinateur, soit en cachette, soit en tentant de justifier cette situation auprès de votre entourage :
– « on ne mord pas la main qui nous nourrit »… Comment refuser quelques heures supplémentaires à la personne qui a un droit de veto même indirect sur votre salaire ? (Mais, non, cette pression n’a rien à voir avec une forme quelconque de chantage, bien sûr… )
– et puis c’est normal (les collègues sont débordés, ça ne va pas durer, on me rendra l’ascenseur, etc…) ;
Ça vous parle ?
C – Vous refusez d’établir ce rapport et profitez du reste de vos vacances en toute sérénité, sans une once de culpabilité ni d’appréhension pour le jour de votre retour au bureau…
Si vous avez répondu A ou C, félicitations ! Vous semblez avoir les idées très claires sur ce que vous voulez. Que vous donniez plus de votre temps, ou non, votre décision est alignée avec vos valeurs.
Sinon… il est temps de vous interroger sur l’étendue de vos limites.
Jusqu’où êtes-vous prêt à laisser votre travail gagner du terrain sur votre sphère privée ?
L’important n’est pas tant là où vous choisissez de poser vos balises concernant le blurring mais votre définition de « à partir de quel moment vous considérez qu’on vous fait dépasser VOS bornes »
Et si vous avez bien fixé ces limites en pleine conscience, non contraint et forcé, en phase avec vos idées. A défaut de vous sentir aligné avec ce cadre, vous ne pourrez pas agir longtemps sans séquelles sur votre santé physique et morale.
« Vie pro », « vie perso »… Et si le blurring était une définition de la vie tout simplement ?
Plutôt que d’opposer ces sphères et de chercher à les cloisonner à tout prix, ne serait-il pas plus satisfaisant de concentrer nos efforts sur leur juste conciliation ?
Tenter de les enfermer dans des lieux et heures stricts relève de plus en plus de l’impossible, du moins pour nombre de professions, et vouloir atteindre cet objectif ne risque à terme que d’exposer à un cuisant échec.
Alors, prêts à travailler les pistes pour apprendre à mieux définir le blurring, le contrôler et rester relativement maître de votre planning et de vos vies ?
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